(tome 1 de la trilogie Fifty shades)
Traduit de l'anglais par Denyse Beaulieu
Nous y voilà... que puis-je bien penser du dernier best-seller à la mode ? (si tant est que quelqu'un en ait
quelque chose à faire de ce que j'en pense )
A moins de vivre sur la planète Mars, vous avez déjà dû lire des cinquantaines
d'articles sur le sujet, je ne vais donc pas vous faire l'affront de vous le re-résumer, de la genèse fanfiction de Twilight à la mise en place marketing que l'on sait. Je l'ai lu.
Jusqu'au bout. Et très franchement, je m'attendais à pire.
C'est une gentille romance avec tous les codes
du genre, qui séduira les lectrices habituelles des collections Harlequin et autres romans sentimentaux.
On dit que c'est très mal
écrit : alors on devrait avoir l'honnêteté de dire aussi que 80% de la production littéraire actuelle est très mal écrite. C'est écrit dans une
langue correcte (si vous voulez du très mal écrit, allez voir là), certes avec
des phrases très simples, très courtes, au vocabulaire restreint, et les phrases avec subordonnées relatives ou autres tournures complexes sont sans doute à chercher à la loupe. Comme du Marc
Levy ou n'importe quel roman grand public aujourd'hui, il ne faut pas fatiguer le lecteur à réfléchir (j'en sais quelque chose, je passe mon temps à répondre à la demande : vous n'auriez pas
un roman facile à lire qui ne prend pas la tête? - et dont on a entendu parler sinon je ne suis pas crédible dans mon conseil). Les éditeurs d'aujourd'hui produisent donc ce que (la plupart des)
gens attendent. Certes l'auteur a des tics de langage fort agaçants parce que trop récurrents : merde alors, à plus bébé, ou devenus désuets dans
notre culture comme doux jésus ! et dont on pourrait se passer mais rien de pire que la plupart de ce qui
se vend.
L'intrigue et ses ressorts sont
prévisibles. Comme dans les romans de Marc Levy. Ce n'est donc pas pire, et ce serait peut-être même meilleur, si on s'en tient au registre donné.
Ce n'est donc pas du Jérôme Ferrari, on est
bien d'accord, mais ce n'est pas plus mauvais que tout ce qui se vend en masse actuellement. Je pourrai donc me permettre de ricaner doucettement quand je lirai dans les mêmes colonnes qui le
flinguent sur ce point-là des billets élogieux sur du roman de masse qui s'éloigne un peu trop de Proust stylistiquement parlant. Et comme ils sont légion, ce sera enfantin.
On dit que c'est du porno, ou au
contraire, que c'est tout ce qu'il y a de plus soft. Je suis du deuxième clan : si l'on écarte les quelques accessoires et orientations SM (et encore même là ça reste très soft), les
scènes de sexe sont tout ce qu'il y a de plus banal, dans une histoire d'amour normale. Le côté domination-soumission est là pour faire monter la sauce (euh, mauvais choix d'expression) et tenir
en haleine sur la personnalité torturée du mâle - pourquoi il en est venu là, et pour le savoir, il faudra lire le tome 2, voire même le 3, c'est malin hein. Ceux qui s'offusquent des galipettes
décrites n'ont jamais dû ouvrir un roman de littérature érotique de leur vie (y a pas de honte à cela non plus, mais avant de crier au loup...) Pas de quoi fouetter un chat. Un écart de culture
entre le mummy porn et la littérature érotique française ?
Bref, beaucoup de bruit pour rien. Ou pas grand-chose.
Ce qui me semble réellement critiquable avec ce
roman, c'est la mise en place, et le buzz marketing qui en a été fait (et la preuve que ça marche, tout le monde a un avis dessus) Je n'en reviens d'ailleurs toujours pas que l'auteur soit
passée chez Busnel. Mince, à la grande librairie quoi ! Mais il faut bien que Busnel fasse de l'audimat s'il veut que son émission continue à exister, alors la noblesse de la
littérature, hein, elle tient à quoi ? Quelques best-sellers bien vendus qui font survivre d'autres choix plus engagés et audacieux. Laissez les midinettes rêver au Prince Charmant, elles ne
font de mal à personne, et replongez-vous dans Joyce, vous je ne sais pas, mais moi Ulysse, je n'en suis toujours pas venue à bout. Au fond, on en revient toujours au même, la légitimité
du populaire, le jugement de valeur élitiste, etc. etc.
En ce qui me concerne, les Pléiade de Joyce (James) et Cohen (Albert) côtoient
ma table de nuit comme EL James, les premiers sont justes plus durables, dans tous les sens du terme... et autrement marquants.
JC Lattès, octobre 2012, 560 pages,
prix : 17 €
Etoiles :
Crédit photo couverture : © éd. JC Lattès