Marc H. est envoyé par Pôle Emploi dans une résidence autonomie en tant qu’agent social, pour deux nuits par semaine. Formé sur le tas par un collègue, il entre immédiatement dans le vif du sujet, et non, il ne sera pas vraiment payé à dormir.
La résidence autonomie, c’est l’étape avant l’EHPAD. Censé aider les résidents à de petites tâches telles qu’ouvrir le courrier, régler la télé, assurer une surveillance la nuit, il fait en réalité le job d’un aide-soignant, voire d’un infirmier. Avec humour (souvent noir, l’humour !), l’auteur dépeint des situations très réalistes, avec des personnes très âgées n’ayant plus beaucoup d’autonomie. Leurs activités et leur prise en charge rappellent le premier âge de la vie : on retombe dans les couches et le coloriage.
Pas spécialement fan du dessin (mais on s’y fait vite), c’est le scénario qui m’intéressait, et de ce point de vue je ne suis pas déçue. Difficile de ne pas s’attacher à ces p’tits vieux, aussi capricieux et exigeants soient-ils, tant pour le travailleur social qui doit se protéger pour ne pas ramener le poids du travail chez lui, que pour le lecteur qui est ou sera confronté un jour ou l’autre à de telles situations pour ses proches ou lui-même.
Un vrai sujet de société qui rappelle le scandale Orpea pas si lointain, mais avec une fin touchante. Respect au personnel de ces établissements !
Dargaud, mai 2023, 174 pages, prix : 24,50 €, ISBN : 978-2-5051-1845-9
Sur une île où dominent pluie et brouillard, le facteur perclus d’arthrose se met à distribuer des courriers anonymes. Un corbeau sévit, de courtes phrases à chaque fois, pas de revendications, mais le trouble envahit le bistrot “La Marine” et chacun soupçonne l’autre.
La réussite ? c’est le texte délicieusement malicieux de Christophe Carlier.
Une deuxième partie plus surprenante donne la parole au corbeau lui-même, j’avoue avoir été déçue, j’attendais une résolution policière avec le gendarme Gwenagan. Mais la troisième et dernière partie offre un twist dans la lignée espiègle du roman.
Sympathique et bien écrit, une lecture plaisante, comme une petite gourmandise.
Extrait p. 76 : “Qui donc sur l’île a l'œil fuyant, la voix fausse et le geste rare ? Gwenagan ne met guère de temps à percevoir que son portrait-robot est une somme de clichés. [...] Une autre manière de réfléchir est de se demander si, chez tel ou tel, la part d’ombre que tous possèdent, intrusive et malfaisante, peut prendre la forme épistolaire, si mesurée, si différée, qui relève d’une cruauté sophistiquée. A ce jeu-là, les violents, les sanguins, les impulsifs ou les indélicats sont rapidement innocentés.”
Quatre amies de longue date, au parcours de vie bien différent, décident lors d’une soirée bien arrosée de monter un bar à tisanes (et bière aussi !) avec un espace librairie et cours de yoga. C’est un rêve qui devient réalité quand les jumelles héritent d’une vieille tante honnie de la famille. Le Pisse-Mémé ouvre après une campagne de crowdfunding et des semaines de travaux. [Pour ceux qui l'ignoreraient, le pisse-mémé c'est de la tisane, en langage familier, plus fréquent dans certaines régions que d'autres]
Un scénario frais et pétillant, des profils de femmes qui traduisent bien les réalités sociétales actuelles, avec quelques piques humoristiques au passage, c’est plutôt bien vu ! Amitié et amours au rendez-vous !
Une BD tranche de vie / feel-good qui met à l’honneur l’engagement féminin (qu’il soit entrepreneurial, politique, humain), le courage de changer de v(o)ie, la charge mentale et la bonne humeur, ainsi que la profondeur des liens familiaux même quand ils sont distendus.
Le dessin est tout aussi réaliste, coloré, joyeux !
Dargaud, avril 2023, 118 pages, prix : 19 €, ISBN : 978-2-205-08577-8
Robert Beck est prof de musique et d'allemand , à défaut d'avoir réussi sa vie dans la musique. Mais il repère dans sa classe le jeune Rauli, un élève étranger en difficulté scolaire mais véritable prodige à la guitare. Ce jeune a un talent de compositeur exceptionnel. Beck se met en tête de devenir son manager et de réussir là où il a échoué auparavant. En parallèle, son histoire d'amour avec Lara (vouée à l'échec dès le début) et son soutien à son ami toxico Charlie vont conduire à des scènes épiques, véritable road trip à travers l'Europe.
Construit comme un 33 tours qui comprend 2 faces et quelques chansons sur chacune d'elles, l'intrigue située à la fin des années 90 en Allemagne (concentrée surtout sur l'été 1999) est en réalité narrée par un autre élève, Ben, à qui Beck raconté son histoire, celui-ci ayant montré des velléités d'écrivain. On s'attache à ces personnages de losers, à leur choix ou non-choix, on s'attache à eux sans s'en rendre compte, pris dans l'espoir sans doute d'un succès, mais la route est agréable.
Le livre de poche, août 2019, 472 pages, prix : 8,70 €, ISBN : 978-2-253-23775-4
(Première parution chez Slatkine et Cie en 2008)
Crédit photo couverture : Studio LGF, Romaoslo / iStock
Samuel a dix-huit ans et quelques, le bac depuis dix jours (en vrai depuis la réforme il savait qu’il l’avait depuis bien longtemps), et il s’apprête à partir sillonner l’Europe en train avec son pote, non, son meilleur ami : Adrien. C’est même pour cela qu’il est serveur dans un bar tout le mois de juillet, pour financer ce voyage tant attendu. Alors quand Adrien lui annonce dans un vocal qu’il ne part pas, c’est un coup dur pour Samuel. Peu importe, il partira seul. Il embobine un peu les parents, et zou, direction Amsterdam, Hambourg, Copenhague, Lund, Cologne …
Vous connaissez Blondel (ou pas), le voyage est autant réel qu’intérieur. Samuel écrit, filme des jeunes qu’il interviewe au fil des rencontres. Passager de l’été est un roman initiatique, de ceux qui vous font basculer de l’adolescence à l’âge adulte. On y sourit, on y aime les personnages rencontrés, ancrés dans la réalité (le Covid-19, la guerre en Ukraine) et l’on y retrouve les petits cailloux semés dans d’autres romans, qui s’entremêlent à ceux de la vie personnelle que l’auteur dévoile parfois sur les réseaux sociaux : les parents décédés dans un accident de voiture, la maladie, et ce thème fort : l’amitié. Ou le deuil d’une amitié.
Une rupture amicale, on en souffre autant qu’une rupture amoureuse, si ce n’est plus. Il faudra bien l’été pour traverser cette épreuve. Et en ressortir grandi.
Un beau roman simple et vrai qui vous fait chaud au cœur (tout en vous le serrant parfois), Blondel continue de faire ce qu’il sait faire le mieux : nous parler de l’intime et donc de nous.
Extraits :
p. 41-42 (Stendhal et la cristallisation) : « J’avais pris des notes, cette fois-là. J’avais trouvé ça intéressant, même si j’étais persuadé que ce type de fantasme, ça marchait au XIXe siècle, quand les gens s’ennuyaient et n’avaient rien d’autre à foutre qu’à rêvasser sur leur partenaire, alors qu’au XXIe, avec des blasés saturés d’écrans, de réseaux sociaux et de sites de rencontres comme nous, ça ne pouvait plus fonctionner. La triche, l’hypocrisie, les trahisons, on a été biberonnés à ça, entre les émissions de téléréalité où tout le monde prétend s’aimer mais va dégueuler sur ses camarades dès qu’ils ont le dos tourné, les jeux vidéo où le premier but est de survivre en éliminant tous les autres, et les réseaux sociaux, inutile de s’éterniser. On ne nous fera pas gober n’importe quoi. Un truc que je dois apprendre de toute urgence, c’est l’humilité. Parce que vu comme je me suis comporté avec Adrien, je ne vaux pas mieux que n’importe quel héros de livre sentimental du XIXe siècle. Une midinette. »
p. 47 : « Juste après, j’ai éliminé Adrien. Je l’ai viré de tous mes contacts. Je lui ai interdit l’accès à toutes mes sources. Je l’ai empêché de partager des photos, des vidéos, des messages. Je l’ai rayé. Pour être tout à fait honnête, cela n’a pas été aussi satisfaisant que je le croyais. On reste attachés à ceux qu’on a aimés, qu’on le veuille ou non. »
p. 113 : « On croit toujours que les autres s’intéressent à nos vies parce qu’ils regardent dix secondes ce que nous postons, mais ils scrollent, ils s’en foutent, ils nous ont oubliés au bout de dix minutes, ils continuent leur existence dans laquelle on n’est rien ».
p. 135 : « Je ne sais plus exactement qui sont mes amis. Mais, au fond, ça n’a aucune importance. Resteront dans ma vie ceux qui en ont vraiment envie, en sortiront ceux qui ne sont pas réellement attachés. C’est beaucoup plus simple qu’on ne croit ».
C'est tellement cela.
Actes Sud jeunesse, août 2023, 173 pages, prix : 15,60 €, ISBN : 978-2-330-18094-2
Une BD remarquable par la beauté de ses planches, ses couleurs, la lumière qui en jaillit malgré les univers sombres et pluvieux, son format, ses dessins pleine page...
Le scénario est plus classique mais fonctionne avec juste ce qu'il faut d'ironie du mauvais sort.
François est un homme solitaire qui n'a pas vraiment réussi sa vie. Chauffeur-livreur pour une entreprise de blanchisserie, la société Bianca, il passe son temps dans les embouteillages. Parfois, une livraison le conduit hors de la ville (et quels décors pour cette ville !). Affublé d'un nouveau collègue qu'il doit former - et ce nouveau n'est pas un cadeau !- il se trouve confronté à une scène qui va changer sa vie. Finis les rêves, le loto hebdomadaire et les promesses faites à Maryvonne de l'emmener voir la mer avec sa fille Romy, et si cela se concrétisait enfin ?! Une fin en partie prévisible, mais une telle réussite dans l'illustration qu'elle donne envie de découvrir tout le travail de cet auteur.
Rue de Sèvres, avril 2022, 140 pages, prix : 25 €, ISBN : 978-2-81020-170-9
Crédit photo couverture : Joris Mertens et éd. Rue de Sèvres
Cette pire amie du monde est peut-être le pire personnage que j'aie jamais croisé dans la littérature. Geignarde, mollassonne, déprimante, agaçante, j'ai eu envie maintes fois d'abandonner ma lecture. Confrontée au décès de son meilleur ami, Cyr se retrouve comme anesthésiée, dans l'impossibilité de réagir, et d'écrire ce discours que la compagne du défunt lui réclame. Quel agacement aussi que cette insistance à vouloir lire à tout prix ce discours à l'avance. Confiance zéro.
Tous les personnages m'ont été antipathiques, et il ne se passe pas grand-chose en dehors d'un soporifique montage de meubles Ikea, seule activité qui apaise cette femme devenue inerte. J'ai persévéré, peut-être dans l'idée que ce fameux discours rachète l'ensemble, mais ceux qui ont lu le roman savent combien la déception fut forcément très grande. Je suis passée bien à côté de cette héroïne auto-centrée et du message qu'a voulu faire passer son autrice.
Les Avrils, mars 2023, 304 pages, prix : 22 €, ISBN : 978-2-38311-019-4
Un premier roman saisissant sur l’uberisation du travail. Un livreur à vélo comme tant d’autres, au centre-ville de Lille : accident de la route, incapacité de travail, rayé des applis. Il lui faut bien trouver de quoi vivre à présent, et de noté par les autres il devient celui qui note en jouant les clients mystères. De petits contrats multipliés pour gagner suffisamment, il devient maître en la matière au sein d’une grosse entreprise. Mais de victime il devient aussi bourreau. Qui est réellement coupable dans un tel système ?
Une fiction ultraréaliste au départ, jusque dans son vocabulaire ultra connecté, qui prend une tournure inattendue, de plus en plus dérangeante. Les tentacules de la couverture ou le poulpe à toutes les sauces du resto de sa copine, mais aussi – et surtout - celles insidieuses du travail qui détruit l’humain. Une escalade et sa chute qui laissent un goût amer et l’urgence d’un réveil critique.
Gallimard, collection Scribes, janvier 2023, 235 pages, prix : 19,50€, ISBN : 978-2-07-299768-6
L'ours transparent est un album poétique, il faut se laisser porter par la beauté des illustrations, la douceur de ses couleurs et de son message.
Un ours transparent vit seul, tristement, dans un univers tout gris, un nuage de pluie au-dessus de sa tête illustre son état d'esprit. Jusqu'au jour où emménage Madame Odette, une vieille dame virevoltante entourée de fleurs colorées et de libellules. Elle, c'est un soleil rayonnant qui est toujours au-dessus de sa tête.
La tranquillité d'Ours s'en trouve perturbée. Mais si leurs couleurs se mêlaient, tant dans le dessin que dans leur histoire, ouvrant la place à l'entraide et à l'amitié ? Et même quand vos amis meurent ou déménagent, ils ont laissé dans votre cœur un joli souvenir. Ours ne se sentira plus jamais transparent, d'ailleurs ses joues ont joliment rosi sur le dessin.
C'est tendre et doux, les illustrations alternent sobriété et détails, couleurs chatoyantes, les fleurs de Madame Odette et le petit chat qui s'invite dès les pages liminaires rendent la vie plus belle, tout comme le message porté.
Obriart, août 2022, 36 pages, prix : 18 €, ISBN : 979-10-95135-50-0
Crédit photo couverture : Cécile Metzger et éd. Obriart.