Je n’avais pas lu de polar / thriller depuis une éternité, et bien m’en a pris car celui-ci m’a fait passer deux excellentes soirées. Si j’avais pu, je pense que je l’aurais même lu d’une traite tant les personnages m’ont habitée le deuxième jour, dans l’attente de reprendre ma lecture.
Talia Sorel est une nouvelle recrue du Raid, choisie pour la fonction de négociatrice. Deux cars scolaires avec à bord 66 enfants partant en classe de neige ont disparu. Ils se sont littéralement volatilisés. Une semaine après, tout le monde est à cran, le ravisseur se manifeste enfin, et exige de ne traiter qu’avec Talia Sorel. Comment la connaît-il ?
Dès lors va se dérouler un duel psychologique d’une tension extrême, et pour une fois, le blurb (cet éloge emphatique imprimé sur la couverture) ne ment pas : ce thriller est bien « implacable et addictif ». Aucun temps mort, et malgré une chronologie parfois chamboulée et des lieux différents, on ne se perd pas.
Le personnage principal est un manipulateur hors pair, mais il s’est peut-être un peu trop surestimé. Le lecteur en tout cas ne peut décrocher avant la fin. C’est cela un bon roman, non ? Une histoire qui fonctionne et qui vous embarque !
Éditions Belfond, coll. Belfond noir, mars 2024, 381 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-7144-0388-9
Des petites tranches de vie d'une petite fille prénommée Koume (petite prune) et de sa grand-mère adorée Ume (prune). C'est mignon, dans de délicates teintes pastel, mais voilà, je ne trouve pas grand-chose d'autre à en dire.
La petite fille vit avec ses parents et sa grand-mère (jamais il n'est question des parents) et hormis leur complicité, il ne se passe rien et l'on n'apprend rien de son mode de vie ou de son pays par exemple. Si j'ai bien compris, il s'agit d'abord de publications Instagram rassemblées ici en un volume, je pense en effet qu'une lecture d'un strip au quotidien ou de temps à autre se prête mieux au contenu qu'une lecture linéaire en album.
Je préfère de loin par exemple le manga Une sacrée mamie qui apporte bien plus.
Série prévue en 3 tomes, accessible dès 7 ans
Le renard doré, avril 2024, 159 pages, prix : 12.90 €, ISBN : 978-2-81020-791-6
Crédit photo couverture : Junko Honma et éd. Le renard doré
Sébasto, douze ans, passe la majeure partie de ses vacances auprès de Da, son grand-père d’adoption, n’ayant plus de grands-parents. Un matin, un chat noir aux étranges yeux couleur argent se trouve devant la maison du vieil homme. Intrigant ! d’autant que les mystères commencent : chaque jour un animal est tué (oiseau, poule, lapin…), et le lendemain, un nouveau chat noir aux yeux d’argent vient s’ajouter aux précédents. Quelle est donc cette malédiction ?
Si vous aimez les contes et légendes, les énigmes (un peu) terrifiantes, foncez !
Accessible dès 10 ans, cette adaptation en BD du roman de Marie-Hélène Delval est une vraie réussite. J’aime beaucoup le dessin de Mélanie Allag, le choix des couleurs, et le fait d’avoir mêlé le journal de bord du vieil homme dans l’illustration. L’histoire est un peu triste, malgré une annonce positive à la fin, mais c’est aussi ce qui fait grandir…
La création de cette BD a donné lieu à un projet pédagogique d’un an avec une classe de 4ème.
Bayard éditions, coll. Bande d’ados, janvier 2023, 53 pages, prix : 12,50 €, ISBN : 979-10-363-2918-0
David est un metteur en scène de théâtre, en couple, et papa d’une petite Miranda. Il apprend que son adaptation de la Tempête de Shakespeare est annulée, il rumine alors sa déprime ; sa femme le secoue (l’argent ne coule pas à flots) et lui demande de garder la petite car le personnel de la crèche est en grève ce jour-là.
C’est donc à sa fille Miranda, prénommée comme celle de Prospéro dans la pièce shakespearienne, qu’il va jouer SA tempête. Celle-ci est multiple, littéraire et théâtrale, mêlant mise en scène avec des peluches et vraies informations sur les représentations théâtrales au XVIIe siècle, intérieure (crise de couple, d’estime de soi, différend avec son frère qui par son mandat d’élu local lui coupe les subventions nécessaires à son travail) et extérieure, car la météo fait rage à ce moment-là dans sa ville et l’orage s’abat sur les toits et les vitres.
L’imbrication de tous ces éléments pour en faire un roman est vraiment intéressante et réussie. Même si l’on ne connaît pas la pièce de Shakespeare.
L’ensemble m’a toutefois parfois un peu ennuyée et agacée. Les propos sur la place de la culture dans nos vies, le régime des intermittents du spectacle et les subventions publiques au cœur de leur survie et des programmations sont une longue et sempiternelle plainte qui m’a parue plus larmoyante que combattive. Le débat n’est pas neuf entre culture et divertissement, lien entre qualité et popularité et j’en passe, mais il me semble peu productif ici… (peut-être parce que tous les jours j’y œuvre, à ma petite échelle de colibri fonctionnaire territoriale de la filière culturelle.)
Extraits :
p. 17 : « Le père explique à sa fille que l’île de Prospéro ressemble à leur appartement juché au huitième étage de cet immeuble : l’art y est partout présent, dans la bibliothèque, sur les murs, et surtout – il s’approche d’elle qui rentre instinctivement la tête dans les épaules, elle ne perd pas une miette de ce qu’il raconte – dans nos cerveaux. Et David embrasse le front de la fillette, puis la chatouille ; son rire encore éclate dans la cuisine, emplit l’espace tout entier, roule comme une bille insouciante. C’est de cela dont David besoin : des joies et des lumières solaires de sa fille. On insiste beaucoup sur le travail nécessaire à bien élever un enfant, on dit peu l’inverse : tout ce que l’enfant offre en contrepartie à ses parents. La paternité, c’est donnant-donnant, protection, éducation et nourriture contre émerveillement, amour inconditionnel et supplément de vie. Une tendresse pour adoucir la rugosité du monde. »
p. 69 : « Rien ne change, les comédiens ont toujours besoin du soutien du roi, du pontife, de l’empereur, du président de la commission culture, du conseil régional, du conseil départemental, du conseiller de la direction régionales des affaires culturelles, du chargé de mission spectacle vivant de la municipalité. Hormis quelques rares acteurs jouant dans les théâtres privés, sans soutien du roi, les comédiens ne sont rien. Et le roi change souvent dans notre monde : à chaque élection, les innombrables couronnes changent de tête. »
p. « La fin est un monologue. Les fins sont souvent des monologues. Même quand plusieurs personnes se parlent, le signe de la fin est qu’elles ne s’écoutent plus, elles croisent des monologues. Dialoguer est un art difficile. Dialoguer réellement, c’est-à-dire accueillir la parole de l’autre en acceptant la possibilité qu’elle nous bouleverse, ou qu’elle modifie notre propre parole, n’arrive presque jamais dans une vie.
Prospéro demeure seul, il parle au public ou à lui-même. Les spectateurs écoutent sa pensée exprimée à voix haute. Depuis l’enfance, David et son frère n’ont plus été capables de dialoguer. David se réfugie souvent dans le confort du monologue. Il est harassé par avance à l’idée de défendre l’importance de la culture pour l’émancipation des individus. Son frère monologue impératifs de croissance, productivité, compétitivité, ajustement de l’offre à la demande. Ce serait ça, être de gauche ou de droite ? Opposer l’idée de la nécessité d’éduquer à celle d’ajuster l’offre ? »
Aux forges du Vulcain, 25 août 2023, 133 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-37305-734-8
100 ans est un album jeunesse qui se partage. On peut l’offrir en cadeau de naissance à destination des parents qui le partageront plus tard avec leur enfant, à un enfant de 10 ans qui le partagera avec ses grands-parents pendant les vacances, à une personne âgée qui plongera dans ses souvenirs ; il s’adapte à tous les âges, toutes les générations, avec ou sans enfants. Il est délicat, élégant, respectueux.
Chaque page ou double page illustre un âge de la vie, de 0 à 99 ans, avec une courte phrase à la deuxième personne du singulier. Des moments tendres, doux, des moments tristes, des moments infimes, des moments grandioses dans d’immenses espaces. La vie, l’enfance, le jeu, l’ennui, l’amour, la maladie, la mort, la vieillesse, l’insouciance, et les confitures de mûres qui traversent l’existence.
Un superbe album si vous êtes sensible à l’intime, à la poésie, à la philosophie, à la littérature de jeunesse qui sort des sentiers battus, aux petits riens qui font les grands et beaux moments.
Un précieux que l’on garde pour en partager la lecture.
Seuil / Éditions du Sous-Sol, février 2020, prix : 19.90 €, ISBN : 979-10-235-1285-4
Douglas Swieteck vit à New-York dans une famille pauvre, aussi lorsqu’il assiste à un match de base-ball et que la star Joe Pepitone lui offre sa casquette dédicacée, c’est le plus beau jour de sa vie. C’est la seule case en couleur du chapitre, toutes les autres étant en noir et blanc.
L’auteur illustrateur jouera donc sur l’utilisation ou non de la couleur pour souligner les émotions positives de l’adolescent de 15 ans. Mais la joie ne dure pas, car son frère lui vole sa casquette pour l’échanger contre des cigarettes, et la famille déménage « chez les bouseux », dans la petite ville de Marysville.
Il y rencontrera Lil(ly), son père et quelques personnes bienveillantes qui lui ouvriront la voie de la liberté, de la pensée, de l’art, et lui donneront la force et le courage de devenir soi. Les retrouvailles avec le frère aîné de retour du Vietnam lourdement handicapé (on est en 1969) marqueront aussi la famille.
Cette BD adaptée du roman éponyme pour adolescents de Gary D. Schmidt (élu meilleur livre jeunesse de l’année 2017 par le magazine Lire) est un petit bijou de sensibilité, dans un environnement où tout est rude pour le héros. Peut-on s’élever de son milieu social, s’opposer à sa famille quand celle-ci est défaillante ? Un roman d’apprentissage très bien mis en illustrations, tant dans la construction du scénario que le choix graphique et l’insertion de planches naturalistes inspirées de l’ornithologue Jean-Jacques Audubon.
L’art et les bonnes personnes sur votre route vous tirent vers le haut, c’est le message positif de cette histoire.
Les arènes BD, février 2024, 226 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-81020-310-9
12 ans après (La liste de mes envies, 2012), Jocelyne Guerbette, la mercière d’Arras gagnante de 18 Millions d’euros au Loto, revient en librairie sous la plume toujours de Grégoire Delacourt.
Alors ça aurait pu être sympa, elle m’avait bien plu la Jocelyne du 1er opus ou plutôt la capacité de Delacourt à disséquer le couple en se mettant dans le quotidien et la peau d’une femme.
Mais là, comment dire… ce n’est plus ni moins qu’une suite commerciale (il faut bien vivre), même pour le titre personne ne s’est foulé, on remplace le de par 2, ni vu ni connu je t’embrouille (à tel point qu’on est obligés d’expliquer à nos lecteurs que c’est bien une suite et pas juste un changement de couverture), 248 pages, marges larges, interligne confortable, notes de bas de page à rallonge et inutiles, c’est formaté pour être vite lu, et ça l’est. D’autant plus vite que c’est léger, creux, vide. Bavard tout simplement.
L’ex-mari de Jocelyne est donc mort, elle a largué son amant de passage, a récupéré ses 15 millions restant du jackpot, et fréquente les réunions des GA, les gagnants anonymes. L’auteur passe le roman à démontrer que l’argent ne fait pas le bonheur, tout en énumérant toutes les choses de luxe (ou pas) qu’on peut s’acheter avec. On s’ennuie vite et j’ai bien failli abandonner (un chapitre par dépense effectuée pour liquider le magot, on a vite compris), le dernier quart se réveille un tant soit peu, mais pour se complaire dans un feel-good dégoulinant, le malheur de l’Alzheimer, réel ou supposé un peu de suspens, le nouvel amour naissant et le « ensemble c’est tout » au fin fond des Ardennes. Tout le monde est content, et le twist final qui fait le job.
Page 64 : « J’ai gagné beaucoup d’argent à l’EuroMillions et comme je ne vais pas me mettre à acheter ce dont je n’ai pas besoin, j’ai décidé de donner. Et ça, dis-je en désignant ses courses et le ticket que lui tend la caissière, ça, c’est une façon de le faire.
- Si c’est vrai, vous allez faire un sacré buzz ! C’est adorable de votre part, madame, vraiment, je vous remercie, mais je peux encore payer mes courses.
- Alors je vous en prie, faites, lâche soudain la caissière impatiente en levant les yeux au ciel. »
Il ne doit pas les faire si souvent ses courses, l’auteur : la caissière ne me donne jamais de ticket avant que j’aie réglé mes achats. Bon maintenant elle n’en donne même plus du tout, mais je veux bien croire que le roman ait été écrit avant. Bref, d’abord tu payes ou t’appelles Jocelyne, et après tu as le ticket. Non mais.
Albin Michel, avril 2024, 248 pages, prix : 19,90 €, ISBN : 978-2-226-49447-4
Crédit photo couverture : photomontage divers créateurs chez Shutterstock / et éd. Albin Michel